9/30/2008

noblesse oblique

le problème avec o était sa capacité à toujours déjouer les compliments. impossible d'en glisser un. elle désarçonnait tout. d'accord elle était mariée, d'accord elle avait des enfants. d'accord, on pouvait croire à priori qu'elle n'aurait besoin de rien. fallait-il pour autant ne pas lui dire ouvertement, de temps en temps, quelque chose de gentil ? fallait-il que je me brime, que je me frustre ou que je tenaille mes entrailles sous prétexte que madame avait tout ce qu'il lui fallait, en vous remerciant et dix qui font cent ? non.
d'abord il y a un plaisir du compliment. de l'offrir, je veux dire. je ne parle pas des sifflets qu'on adresse aux longues jambes sous minijupes qui snobent mais n'en pensent pas moins. je ne parle pas des coups de klaxon comme des molards. le vrai compliment, celui qui vient du ventre, est passé par les alambiques tortueux de l'âme, filtré par le fût de la gorge où il s'affina quelques nuits, évapora son essence, chauffé au bouillon brûlant de l'estomac comme bain-marie, fut assoupli, tissé de fines volutes aux forges battantes du coeur, saupoudré des souvenirs des plus douces lectures. servir chaud.
bref, ça prend du temps, un compliment. mais o, avec sa joie, sa franchise, cette façon si légère de parler de tout comme de rien, n'autorisait aucun interstice. impossible d'insérer à quelque endroit que ce fut le pied-de-biche qui me permettrait d'ouvrir l'écaille du jour et d'y planter comme un pieu dans la soupe le fruit de mes élucubrations ravissantes. de toute façon elle détournait. elle me regardait comme un martien, avec ses grands yeux verts, clignait deux, trois fois pour la forme, puis repartait sur autre chose, et moi j'étais scié. coupé en deux dans mon élan, mon effort. regardant ma copie éventrée à mes pieds, indigne, impropre, flaque de boue couchée à même le sol. inopportune. lourde.
et pourtant ce jour-là : joli soleil de printemps, discret et délicat, lumière tendre et le froissement argenté des premières feuilles comme des élytres. vent frais. je retrouve o et en chemin, par habitude, je mûris entre langue et palais un bon petit compliment des familles. quand je la vois j'oublie tout. son élégance, la noblesse de son port, sa silhouette de reine secrète, une aristocratie déchue dont ne demeure que l'instinct de raffinement.
- Wow.
- Ah ? merci. c'est trop gentil.
et elle rougit.

9/23/2008

carmin sutra

m dans le salon avait mis la radio. elle bossait ce soir, moi pas. moi je m'éveillais pesamment d'une sieste post love. depuis combien de temps était-elle réveillée ? avait-elle seulement dormi ? il m'avait bien semblé pourtant.
dans le grognement de mon éveil je distinguais des sons lents et souples. elle a baissé le volume de la radio pour ne pas me réveiller, pensais-je. c'est une idée qui fait du bien. qu'il y ait une vie au-dela de la chambre mais une vie qui prenne soin de moi, j'aimais assez cette forme de reconnaissance. de remerciement, espérais-je. je pouvais m'inventer toutes les histoires, la tête en sueur dans l'oreiller de travers.
les rideaux étaient tirés. la lumière ce soir s'assoupissait, tranquille, sur la banlieue. dans la chambre ocre flottait un souvenir d'enfant. une sérénité douce au goût de miel.
j'entendais m fredonner. elle chante à peine, juste des "mmm mmmmm mm mmmm" pour accompagner la radio. j'adore quand elle chante comme ça. elle ne m'en veut pas de ne pas être à côté d'elle, dans le salon, tandis qu'elle s'habille, se maquille, s'apprête. elle est bien là, seule, dans la cérémonie machinale et ordonnée de sa naissance au monde. comme chaque soir. d'habitude elle tient avec cette moue d'enfant à ce que j'assiste à l'accomplissement. à ce que je sois présent, comme un gros chat lourd dans le coin du canapé, à la regarder. je n'ai rien à dire, juste la regarder. ce soir, non. comme elle chantonne je comprends qu'elle est bien, heureuse, détendue et ce bonheur frugal n'a plus besoin de moi. ça me réjouit.
rassuré, je peux alors me lever affranchi de tout devoir. elle a tiré la porte pour qu'aucun bruit ne me dérange mais la porte ma complice a glissé en silence. doucement je m'approche. je distingue à présent clairement la chanson à la radio. "mmm mmmmm mmmm" fait m. elle ne m'a pas entendu. elle ne m'a pas vu, pensais-je. dans l'ombre du couloir, calé au mur, je pousse à peine la tête jusqu'à l'angle, et je la vois.
de profil, assise sur le fauteuil devant le miroir. poudre mascara fard à joue blush. pinceaux houpettes applicateurs crayons éponges. prune violine mauve cuivre rose blanc noir. elle tamponne applique dessine trace lisse souligne précise. elle corrige accentue révèle embellit réhausse tempère. les mots qui habillent les femmes sont déjà un poème à leur grâce.
la main est habitée d'une élégance secrète. aurait-elle la même élégance si elle savait que je la vois ? elle fredonne, de sa voix timide, des "mm mmmm" qui me font fondre. aurait-elle le même chant si elle savait que je l'entends ? non, me dis-je. alors il faut être prudent et ne rien saccager.
c'est comme d'être le témoin d'un secret qui ne nous concerne pas. c'est comme d'être le profanateur inattendu d'un trésor ignoré. gonfle dans ma poitrine une pulsion, un impulse animal et joyeux, j'ai envie de bondir vers elle, de la serrer et de l'embrasser. j'ai envie d'ouvrir grand les fenêtres et de crier au monde bien au-delà de cette banlieue toute la richesse du trésor sous mes yeux. j'ai envie de photographier, diffuser, répandre, exploiter, divulguer, dépenser par mille la joie de ma découverte.
mes muscles sont plus forts que mon ventre. ils comprennent toute la beauté du monde contenue dans le mouvement sûr de cette main sur ces cils. ils comprennent que la beauté du monde est moins d'en témoigner que de la savourer. mon émotion croît à mesure que j'en prends connaissance. jamais je ne saurai lui dire à quel point elle m'émeut. c'est de pudeur que ma gorge se gonfle, et de la pudeur naît un coulis chaud et épais, grenat et délicieux. il se répand dans mes entrailles et m'inonde d'un bonheur sans mot. contente-toi de cette contention, me dis-je. garde les mots pour plus tard. nourris-toi de la délicatesse et de la beauté, et savoure en silence car il n'y a pas de mot.
m se lève. se tourne. me voit. "ah tu es là ?" dit-elle. son sourire met le feu à cette poudre de vie liophilisée dans mon corps. aucun mot ne dirait cette émotion. mes bras tout compte fait prennent le dessus et s'avancent soudain vers elle. aucun mot ne saurait. "hey mon maquillage ! attention !" rit-elle.
je conserve sous une cloche en cristal fine et petite comme un verre à liqueur de bohème cet instant comme un papillon. je l'agite parfois et la lumière de ses ailes réchauffe mon coeur. la cloche est posée parmi tant d'autres qui sont les souvenirs de m. personne ne les voit, il n'y a aucune étiquette.

9/16/2008

un peu d'odeur d'impudeur

qu'est-ce que l'amour ? un jour prochain sûrement, je serai une star et on m'invitera sur les plateaux de radio. une journaliste me posera cette question. je me la joue souvent, c'est vrai, cette scène. qui ne le fait pas. une scène à la "commitments" : johnny babbit s'interviewe tout seul. moi aussi. et un jour, cette question fatale.
- qu'est-ce que l'amour, tout compte fait ?
c'est une journaliste, bien plutôt qu'un. on aura abordé pas mal de sujets avant celui-ci, le dernier, dans le dernier quart d'heure de l'émission, quand quelque chose dans l'air ronronne moelleux, quand le son s'est velouté et que je suis bien. quand l'émission s'est enfin tapissée d'étoffe bordeaux ou les voix rebondissent mollement, confort des mediums, rondeur des basses, scintillement astral des aigus, et qu'on y est bien. on aura parlé de plein de choses parce que j'adore les digressions, vous l'aurez peut-être noté.
- qu'est-ce que l'amour, finalement, yves, tout compte fait ?
- l'impudeur.
de toutes mes rares histoires d'a., je tire une leçon, si je ne dois en tirer qu'une : elles sentent toutes l'alcool. et si je dois tirer une seconde leçon, alors c'est bien celle-ci : il n'y aura eu d'a. que d'impudeur. seule l'audace d'être impudique aura été la clé vers les profondeurs de l'autre. vers sa profonde exploration. vers l'interdit obscur lentement dévoilé. seul cela compte. toutes les autres histoires, toutes les aventures bloquées au stade du maquillage auront été superficielles. l'impudeur est le all access pass vers l'amour. nécessaire. pas forcément suffisant, je le concède. mais nécessaire. sans, on reste dans les gradins. on ne voit la scène que de loin. aucune chance d'entrer dans l'éloge. et pour si peu, on paie cher.
soyons impudiques ! offrons à l'autre l'opportunité de nous accepter, bon sang. à quoi rime de tirer la chasse pendant l'urine quand votre compagnon est juste là, derrière la porte ? comment espérer un jour, un jour seulement, aborder un sujet un peu grave si l'on n'est même pas capable d'avouer à l'autre qu'on sent bizarre de la bouche au matin, même aux matins frais et câlins ? laissons une chance à l'autre de nous voir un peu plus loin que notre fard. permettons-lui enfin de dépasser les convenances de surface, celles des premières heures, des premiers jours, et montrons-lui que nous sommes profondément humain. tout le monde est pareil, tout le monde a des poils un jour et du bide et fait des bruits louches qui sont la vie, qui sont aussi la vie.
être capable d'offrir l'impudeur, c'est aussi être capable de la recevoir. accepter que l'autre soit aussi un corps qui éjecte, qui digère, qui se débarrasse, qui évacue, qui éructe, et quelques minutes plus tard qui porte avec une élégance unique cette chute de reins éblouissante vers des pays magiques où des rivières de coulis soyeux inondent les âmes et font pousser des fleurs roses aphrodisiaques. la même chute de reins, pourtant, quelques instants plus tôt...
soyons impudiques, l'impudeur est la plus belle preuve de l'intime. comment faire croire à votre compagne que vous lui procurerez les plus intenses baisers si vous êtes déjà incapables de boire au même goulot sans l'essyuer préalablement d'un revers de la main ? soyons impudiques et montrons que l'amour, faire l'amour, vraiment, ne nous fait pas peur. faire l'amour n'est pas froid, n'est pas sec, ne sent pas le channel numéro 5, mais au contraire sent bien meilleur. offrons à l'autre cette liberté en plus, cette frontière en moins, allons vers elle, vers lui, laissons-le se gorger de notre vérité. l'impudeur ne pue jamais.

9/12/2008

ich bin ein Filles de joie

hier, paris, 11 septembre. sous la pluie navrante après une journée idéale. devant le divan du monde, du monde. ce soir c'est une soirée du cabaret des filles de joie. j'attends.
quand enfin j'entre dans la salle j'espère plein de filles déguisées en écolières. le thème de la soirée, c'est l'école. un 11 septembre, j'aime bien l'idée. ça aurait pu être tellement pire. mais septembre gardera toujours davantage un goût de rentrée scolaire qu'une rentrée de métal dans des tours, et c'est tant mieux. mes souvenirs de rentrée résonnent sous le préau de septembre. j'aimais bien ça, gamin, la rentrée des classes. parfum de plastique des protège-cahiers ; suavité odorifère des pots de colle cléopatra ; j'arrête net, je ne vais pas appuyer sur la gachette de la nostalgie récréa2.
des écolières, il y en a, oui, une petite vingtaine. des filles dans tous les genres. orgueilleuses voluptés où la chair réjouie et généreuse épanouit pleinement sa tendresse ; sèches, brins tendus aux hanches cassées à l'ordre des flashs ; gigantesques flammes sombres qui lèchent les sommets aux hommes inatteignables, incendiant leurs âmes d'un sourire géant. tout ça en costume, jupe écossaise, carreaux rouges, talons hauts, chemise blanche bien trop tendue. bien trop. quelques cravates, bientôt cravaches. les vaches. une ou deux écolières jettent des avions de papier qui portent votre prénom.
des filles oui. "mon problème c'est les filles, mais bon, c'est comme ça", dira le butch hank bobbit dans son numéro de rockab décomplexé, entre deux galoches à la comtesse isadora du berry. des filles aux noms de contes de fées idylliques : lolaloo des bois, léa kill kill, vivi va voom, wendy delormes, jazmin barett, miss saphar, sylvanie de lutèce, hyun b. lee, fury furyzz... mes blanches neiges à moi auraient causé d'autres tourments à mes nuits si elles avaient eu ces noms-là. leur maîtresse à toutes s'appelle juliette dragon. une maîtresse mais deux mètres facile, plus sûrement trois, et un dragon fabuleux gravé dans le dos. je ravale mon bilbo.
vite vite, très vite le divan chavire et danse. ça rit ça court ça se chamaille, les flashs clapotent un peu partout. les filles de joie sont chez elles. la fosse est cour, l'école bi ne sonne pas comme hier. je cherche des complexes et je n'en trouve pas. je cherche à me méfier mais je ne vois pas de quoi. je cherche ce qui ici n'est pas de la joie, et ne trouve pas. alors je cherche des filles et je trouve la vie. furieuse vie libérée, sur scène, dans la fosse. furieuse vie explosive, bâtons de dynamite en uniforme de collégienne. le spectacle n'est pas sur scène, le spectacle est une boule à neige rue des martyrs, chavirée toute la soirée dans un bordel somptueux.
je sors enfin. les caniveaux ruissellent une eau soyeuse. partout éclatent les échos des filles de joie. partout klaxonnent leurs noms féériques. et dans mon âme vibre sans calcul la grâce éternelle des sciences amateurs, et le bouillon des approximations libère sur ma route la chaleur d'un parfum riche, fébrile et beau.