6/30/2008

corporo humanum est


je crois que c'est en découvrant m sur le canapé brun. écoutait-elle la musique discrète ou le chant délicat du dehors ? son corps énumère tranquillement les coussins, accoudoirs, imparfaitement, angles secs parfois (dos, reins, talons, coudes), tendres aux cuisses, genoux, mollets, cou, mais nulle part de gène. aucune gène, voilà m à cette heure. l'après-midi flambe, fier, tout crâme sous son soleil victorieux. demain c'est encore repos. rien ne presse, rien n'oblige. m, épouse princière des minutes lentes consumées, favorite alanguie, tiède et blonde, languit.
ne reposait-elle pas seulement dans la torpeur d'après bain, m était là à demi nue. un jean, et c'était tout. ou presque, car m tenait dans une main une cigarette, dans l'autre un livre qu'elle ne lisait pas. comble de morgue. elle préférait sans hâte têter la cigarette. par la fenêtre ouverte le vent berçait le lourd rideau beige. sous la coupe ondulée du tissu, m, brassée aux épaules, nuque, cheveux, recueillait comme s'il lui fût toujours dû ce souffle épais.
elle était chez moi mais c'était chez elle. deux jours à peine, et me voici reçu. qu'elle était belle, mon Dieu, à la lumière silencieuse. deux yeux bleus sous les paupières nobles ne me voyaient qu'à peine. tiens, tu es là, toi. fais comme chez toi. moi, je baigne presque nue dans l'air. toi fais ce que tu veux, et si c'est me regarder, eh bien pourquoi pas, mais sans bruit.
parfums légers, légers. bouillon doux de la vie extérieure, presque tue. volutes soyeuses de cigarette. bain d'épice.
m aux anges sur le canapé brun n'est pas mal coiffée, elle n'est pas coiffée. ses cheveux par mèches flottent un peu, histoire de. ils caressent ses épaules. s'en rend-elle seulement compte. sur l'autre accoudoir ses pieds nus aux orteils plats, ongles carrés, vernis nacré, frottent gentiment l'astrakan. entre les deux, épaules et pieds, la taille ouverte au premier bouton, le jean borde un petit ventre subtil.
je crois que c'est à cet instant que j'ai fondu. je crois bien que c'est en découvrant m sur le canapé brun que je me suis enfin dit "woops ! si tu as ça chez toi, c'est que, mon garçon, tu es un homme".

6/25/2008

rond, gras, bulle

dans le train de banlieue. elle doit avoir 28 ans, peut-être 30. il y a du monde, debout sur la plate-forme. il y a le bruit du train, des discussions dans des portables, des walkman qui grésillent. soudain elle dit "je supporte pas qu'on me dise que je suis belle, je sais très bien que c'est faux, on me fera pas croire qu'un bourrelet c'est beau". c'est vrai qu'elle n'est pas mince. on ne verra jamais sa photo pour une publicité. il y a des milliards de femmes dont on ne verra jamais la photo pour une publicité.
je me demande ce qui m'a vraiment choqué dans cette phrase. le fait qu'elle réduise la beauté à un bourrelet. sa résignation. cette espèce de hargne à ne pas vouloir être prise pour une conne devant un compliment. je me demande. sur le quai de la gare je l'avais vue. je la regardais en douce profiter du premier soleil, les yeux fermés. elle souriait à rien, en tout cas pas à moi et je me suis dit que ca m'aurait pourtant fait plaisir. une femme qui sourit à rien c'est agaçant. une femme qui sourit à un autre homme que vous, déjà. mais à rien.
en douce, donc, regardée. un charme pas classique, rien de vulgaire non plus, elle avait cette allure un peu gauche, un peu maladroite et tendue des banlieusardes qui rêvent tant d'être parisiennes. elle avait dû serrer les poings pour s'en sortir, sans trop savoir où aller, sinon paris. elle y bossait désormais, c'était peut-être une première victoire, enfin bref je m'étais fait tout un film et je l'avais trouvée touchante, au final. elle était grosse, mais ça ne m'avait pas sauté aux yeux. une évidence qu'on ne voit même pas. son tour de taille ne choquait pas l'image. je m'en rends compte à présent, elle était ronde comme je porte des lunettes. ce matin-là je n'avais pas la tête dans les magazines de mode, et j'avais vu une jeune femme profiter du soleil en attendant le train. c'est cela qui m'avait plu. question de lumière.
ce jour-là c'était ça, le lendemain je me laisserais troubler par une chute de rein volée à la silhouette d'une cycliste. est-ce que ça faisait de moi un salaud qui méprisait les grosses ? appréciant qu'une femme ronde se foute qu'on la regarde prendre le soleil sur un quai de gare un jour, et aussi capable le lendemain de craquer pour une courbe fine, était-ce pour cela qu'une femme dirait bientôt à une autre qu'elle ne pourra plus croire les compliments ? peut-être. cruelle simplicité des hommes qui tombent trop vite.
j'ai eu envie de la rassurer. je lui ai dit tout ce que je pensais, de ce charme qu'elle dégageait, si touchante dans son déguisement de parisienne, comme une petite fille en princesse, aussi sérieuse en tout cas, j'ai eu envie de lui dire que je ne m'étais pas rendu compte, d'abord, de ses bourrelets. je l'ai invitée à prendre un café, à l'écouter, à la regarder avec toute la tendresse dont j'étais capable et tout le silence aussi. sa copine lui a dit tu as raison, les mots sont restés dans ma bouche. mon café est resté seul. je crains de la revoir sur le quai de la gare.

6/10/2008

de l'immobilité et des rouages écarlates

peu importe alors qu'on ait fait l'amour ou pas : je reste alangui. dehors me berce la rumeur d'une voiture qui passe. il y a le bruit de la douche, et sous la douche j. chante. elle ne chante que pour elle. ni juste ni mal ni faux. j. chante tendrement.
du lit j'entends la porte de la douche qui s'ouvre, le froissement d'un linge. un robinet, ouvert, fermé. j. fredonne. elle pense peut-être que je dors. ses pas nus sont légers sur le parquet. il n'y a ni musique ni radio, juste par la fenêtre ouverte sur l'été la ville qui bruisse, et ce chant charmant.
enfin j. entre dans la chambre. elle a enroulé ses cheveux dans une serviette blanche, mais une mèche s'échappe le long du cou. elle goutte lentement sur son épaule. sinon, elle a une culotte, blanche aussi, parfois grise, ou rose que j'aime bien, avec une jolie dentelle autour des échancrures. je craque régulièrement pour la culotte rose à dentelle. elle pourrait me faire tourner fou, un beau jour.
j. ne me regarde pas, moi je la vois, son ventre tend l'élastique du slip. je sens d'ici comme ce ventre est chaud, et comme dedans tout est admirablement placé. la machine humaine j. est un miracle en soi qui me fascine. comment une architecture aussi complexe peut-elle à la fois fonctionner avec une telle précision, et être si beau ?
derrière c'est une cambrure inimaginable, sincèrement je pense que ça devrait être interdit. si au moins c'était interdit, alors je deviendrais enfin un hors-la-loi et je déroberais la cambrure et sa propriétaire au musée de sa pudeur. nous fuirions vers l'italie et ce serait terrible, bouillant et terrible.
il y a ces reins, c'est scandaleux. je fais un effort considérable pour ne pas bouger. idéalement il faudrait au premier instant se lever, tendre la main pour toucher, caresser, attirer vers soi, renverser sur les draps, et aimer. il existe une sensualité plus acérée qui, dans l'immobile contemplation, subtilise d'indiscrètes voluptés. ce n'est pas ma main qui caresse maintenant ces seins souples, mais c'est un moi plus entier encore, un moi qui bat de toute sa chair et qui vibre dans un regard caressant. bien sûr je pourrais devenir fauve, et nous aimerions ça aussi, ce serait bon. ce serait féroce et goulu. contenir, retenir, et savourer au palais la puissance ravageuse qui s'écoule goutte à goutte devant ces reins. ces cuisses lisses, ces pieds qui forment avec le sol un angle droit bien surprenant quand j'y songe.
j. passe un t-shirt, ses seins sous la toile tiennent seuls et tout ne tient qu'à moi. je ne bouge pas. douce, suave contemplation. cheveux lâchés maintenant, ils glissent lourds et encore gorgés sur ses épaules, l'eau brosse sur le t-shirt de soyeuses lacérations.
les myriades de grains bruns qui bruinent les bras de j., voici encore une euphorie. penser à les compter, une nuit. je m'émerveille souvent devant la beauté de cette carte d'un ciel d'or. comme de l'harmonie empirique d'un bras qui se finit par une main fine, orfèvrerie impensable et précieuse. le jeu des articulations, le cartilage lisse, os, tendons, les muscles sous la toile de peau rangés si parfaitement. plus encore que le dessin, c'est la réponse exacte d'un membre aussi fragile que j'admire naïvement. les tensions et détentes des rouages. de l'épaule à l'ongle, chaque bras de j. mérite un livre.
puis j. me regarde. toujours, cette petite chanson que je ne reconnais pas. je la regarde, elle me sourit, et à quatre pattes saute sur le lit.
- je suis toute propre.

6/05/2008

canada drague

d'où je sortais était obscur. une pénombre assagie tamisait la vue. à l'ouverture de la porte éclata la lumière de juin, milieu d'après midi. la première image qui s'ébroua du flou laiteux fut la grille grise d'un magasin de l'autre côté de la rue. cette jeune femme qui fumait à la porte de son commerce, appuyée à l'encadrement de la porte, la seconde. par quel miracle me regarda-t-elle à son tour.
les yeux encore un peu troubles, le brouillon dans la tête, il fallait en avoir le coeur net : oui, elle me regardait bien. cet air un peu las de qui n'attend plus rien. ce type qui sort ahuri et les yeux dans le vide, marrant. pas de quoi appeler sa mère, non plus. enfin, au rythme où passe la journée... une taffe.
moi je la regarde aussi parce que des jeunes femmes qui me dévisagent, ça ne court plus les rues. je dis "plus" pour me rassurer. je m'invente un passé de playboy. vieux beau, c'est pourtant ce qu'on fait de pire. "vieux beau imaginaire", ça m'autorise tout, m'échapper du pire puisqu'il n'est pas vrai, et garder le meilleur pour le goût. canada dry de la drague.
son agence immobilière se tient juste à côté d'un troquet où je n'ai plus mis les pieds depuis longtemps. j'ai chaud, il fait chaud dans ce juin que j'ai mal jugé, un gros blouson sur le dos. et puis j'ai envie d'un café. et puis, rien ne m'appelle. plus rien.
trop chaud pour un café, temps rêvé pour un porto. et même deux. ça faisait longtemps que je n'avais pas bu de porto. j'aime beaucoup le bourgogne de sa robe. j'y lis bien des souvenirs. et c'est classe, un porto. jamais trop tôt pour un porto. au zinc j'ouvre le parisien déchu dans le plateau de 421. je feuillette sans lire. ça évite de croiser des regards. comme à chaque fois que je tombe sur le parisien, je m'arrête sur l'avis des gens, une rubrique dans laquelle cinq ou six piétons sont interrogés sur un sujet qui mérite quand même bien davantage qu'une interview au débotté. tout le monde a le droit de donner son avis au parisien, et puis ça flatte qu'on nous demande notre avis pour un journal, on a l'impression que ça compte, que ça vaut quelque chose. pourquoi pas. je me dis que je ne répondrais qu'à une question sur l'augmentation du prix du porto. la journaliste (blonde aux yeux verts, poitrine délicate que je ne regarderai pas tant elle me crève les yeux, de crainte qu'elle me foudroie sur place si j'osais une seconde me laisser dériver sur les courants soyeux d'une fébrile contemplation), la journaliste, donc : que pensez-vous du prix du porto ? moi, qui comprendrai d'abord "que pensez-vous du prix du porno" et évaluerai en un éclair les heures nécessaires pour convenablement en débattre, effectuer un vrai travail de reporter consciencieux, pourquoi pas au restaurant, ce soir, tant le sujet est important et tant j'ai à en dire, moi donc : - du... porto ? écoutez, oui. (troublé, vaincu, assoiffé soudain, le regard glisse glisse glisse, sursaute un instant désespéré, mais à la fin choit lâchement, épuisé, repu, s'accroche un instant au pendentif négligé, soulagement, mais non, c'est trop vertigineux, ça y est, je les ai vus, je les ai regardés, c'est trop tard, que dieu me pardonne, j'ai échoué, bon sang ce que c'est beau. et je m'enfuirai honteux le manteau contre le ventre avec peut-être cette dernière pensée : pourvu qu'elle n'ait pas remarqué mon émotion mal encapsulée).
quand je sors, la jeune femme n'est plus là. d'ailleurs y pensé-je encore ? par un réflexe immobilier indéfini je m'arrête devant les petites pancartes qui m'invitent à saisir des affaires exceptionnelles de 5 à 7 pièces, essentiellement. je lis vaguement. comme ça. par inadvertance. désoeuvrement peut-être.
- un renseignement ?
clope sur clope, ma parole. j'aime assez ça je dois avouer. j'ai toujours trouvé qu'une femme avec une cigarette avait quelque chose d'irrémédiablement séduisant. cette impardonnable élégance qui souffle l'innocence des garçons.
- je regarde. les 5 à 7. pièces, je veux dire.
par bonheur, pur bonheur, elle sourit. de ce sourire qui détourne l'attention pour mieux vous évaluer. combien valais-je à ses yeux sombres ? studio ? deux pièces ? je dus la changer de ses clients habituels. elle se mordit la joue, et dans la minute qui suivit nous trinquions au porto à la santé des grands appartements déserts en plein mois de juin. dans la semaine qui suivit nous mesurions des superficies voluptueuses à coups de reins qui ne le furent pas moins. dans le mois qui suivit nous ne nous revîmes plus. je garderai longtemps sur les lèvres la caresse sans ambages de ses cigarettes, et la mollesse indolente du porto.

6/03/2008

anatomie sentimentale

ce que j'aimais surtout : me coller à elle la nuit. sentir contre mon ventre son cul. pas un petit tout dur tout plat tout froid, non. je parle là de maturité. f avait vingt trois ans mais niveau cul, pardon mais : madame. quand je dis niveau cul je ne parle pas de performance sexuelle, comprenons-nous bien. je parle anatomie des sentiments. mon sentiment à moi est creusé en rond, deux incurves épanouies, et le cul de f s'y colle parfaitement. j'ai vérifié. le soir quand elle s'endort, et la nuit quand elle dort. nickel. ça déborde peut-être même un peu. quel régal.
alors la nuit je passe ma main contre son flanc et sous son bras, je plonge le nez dans ses cheveux qui sont éparpillés et bleus sous la lune. le mur blanc strié de l'ombre démente des persiennes est froid, je meurs de chaud. doucement je m'approche. je glisse sur le drap. elle bouge. j'ai peur de la réveiller, c'est mieux si elle ne se réveille pas. j'ai l'impression d'apaiser ses rêves quand je m'approche sans la réveiller, comme ça. ma main affleure un sein. quelque part dans moi un viscère s'enflamme. combustion moite. et puis je colle enfin mon ventre, tout doucement, contre ses fesses. si j'ose, j'en caresse même la soie, de la paume. combustion encore. enfin je ne bouge plus. f ne respire plus. tout attend. une minute, ou deux, mais la nuit chaque seconde paraît longue comme le jour, après une minute ou deux f inspire profondément, dans ma main le sein bouge, le ventre gonfle, gonfle, la poitrine entière se gorge de rêveries, c'est tout un corps qui s'envole, cambrures obscures, volumineuses destinées, et moi qui ne suis qu'à un sein accroché ! tout suspend, tout plane. puis le lent relâchement, long et puissant. contre moi le bonheur rebondit. un silence. l'air, au parfum doux de son haleine, pétille encore un peu. comblée sa chair est tendre infiniment ; je sens ma chair encombrée infiniment se tendre. rien ne presse, sinon mon ventre contre ces fesses.
au matin f se regarde dans le miroir : elles sont nulles mes fesses, regarde-moi ça ! cellulite, grosse, grasse, kilos, vergetures, peau d'orange et blablabla. moi je ne vois rien, mais je sais. je sais que rien n'empêchera ce soir les soupirs inouïs, et que, je le jure, rien au monde n'est aussi beau. sans mentir. je la regarde droit dans les yeux, toute la chaleur accumulée du semi sommeil remonte à vive allure. bang bang. f, j'aime tes fesses, avec ou sans leurs angoisses diverses.
tout ça je l'ai dit. elle n'a rien cru. elle est partie. je colle d'autres culs. tant pis.