9/17/2009

Pole Express

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Mais bien sûr, le strip tease ! Mais bien entendu ! "On aura beau faire les plus belles oeuvres d'art, composer les plus belles symphonies ou peindre les plus grandes toiles, rien n'approchera jamais la beauté d'un strip tease dans un bar de Soho", disait à peu près un personnage de l'Adieu au Roi. Grands Dieux oui.
Demandons-nous pourquoi.
Factotum, dernière scène : Chinaski alias Bukowski alias Matt Dillon fume une roulée du pauvre dans un bar poussiéreux, sourire satisfait. Le regard est porté sur la danseuse dont les acrobaties tranquilles à la barre n'intéressent qu'à peine le dernier client. Elle est maigre, la musique est banale et la lumière se fout des rideaux, d'ailleurs c'est le plein après-midi. A l'heure où d'autres chômeurs arpentent les salles des bookmakers Chinaski, le vrai faiseur de livres, sirote une bière dans la pénombre d'un bar à strip. La bière est fade. C'est le seul plaisir que ses moyens lui permettent, et encore. En voix off, Chinaski libère son âme qui s'envole et rapporte sur terre les plus belles vérités sur la littérature. "Si vous y allez, si vous y allez vraiment, alors vous serez le copain des Dieux", dit-il en substance.
L'aller-retour entre la littérature et le strip tease, voici une vérité. La littérature de Bukowski / Chinaski est une littérature de chair humaine, une littérature qui sent la sueur mais la sueur d'homme, la sueur de femme, elle sent le parfum de femme aussi, le parfum premier prix, mais le parfum quand même et c'est ce qui est le plus important. Une femme aura claqué un peu de ses économies dans du parfum, elle aura aspergé sa gorge, pas trop, moins pour ne pas cocotter que pour ne pas tout utiliser maintenant, il faut en garder un peu, le parfum ça coûte cher même mauvais, et si j'étais Chinaski j'imaginerais, quand les volutes de la fille brassent les rayons du soleil poussiéreux, son doigt sur le pressoir du flacon ; j'imaginerais qu'elle n'a pas fait ça comme on vêt la panoplie de notre job mais en se souriant à elle-même dans la glace ; J'imaginerais qu'elle a choisi d'être danseuse topless pour lire dans les yeux des hommes autre chose que ce qu'elle y lisait quand elle était serveuse au fast food, et qu'elle fait ça en plus de son emploi d'assistante sociale ; j'imaginerai qu'elle se dit qu'au fond, c'est un peu la même chose. Elle sait que ce n'est pas tout à fait vrai, mais ça simplifie le débat et la vie est assez commliquée comme ça. Elle se dit que personne dans son entourage n'est au courant, non pas qu'elle en ait honte, mais ça aussi, c'est plus simple. Même ses amants de passage l'ignore, même son ex-mari. Même ses enfants. Parce qu'être là, danser pour deux clodos qui n'ont pas beaucoup d'autres bonheurs dans la journée, c'est sa seule liberté depuis bien longtemps. Et puis elle se sent belle. Angelina Jolie ferait-elle ça ? Danserait-elle autour d'un pole ? Non, ce qu'elle fait là lui appartient, à elle et à elle seule. Ce qu'elle offre, c'est elle seule qui le décide.
Je m'inventerais plein de belles histoires. Je me sentirais proche, je me sentirais apaisé, et même rassuré. Je me sentirais bien. Une mécanique dans ma tête luttera pour essayer de comprendre ce que cette fille fait là, mais un rouage plus puissant emboitera une usine à plaisir et inscrira en lettre d'or "elle est là, elle est belle, c'est tout". J'appellerais ça la vie et je me laisserais guider. Princesse en son royaume, ce que tu fais pour moi est si touchant. Ce n'est pas l'argent : tu aurais pu rester vendeuse. Le stupre ? Tu as posé les limites et finalement tu danses, et rien d'autre. La soif d'être admirée, aimée ? Ton bar ne compte que deux clients. C'est bien supérieur à tout ça.
Il y a une profonde générosité chez les strip teaseuses. Et parfois même, si on le veut bien, un vrai partage. Ce dont il est question entre une strip teaseuse et son client touche à ce qui fait l'homme face à la femme et la femme face à l'homme. Sans ambages, sans faux semblants, avec une certaine mesure de politesse qui n'a besoin que d'un minimum de mots. Ne nous mentons pas. Allons droit au but mais avec un peu de classe. Eviter le vulgaire pour se concentrer sur l'essentiel est un soulagement. Oui, éviter le vulgaire est possible. C'est elle qui contrôle. A vous de voir ce que vous êtes capables de prendre, ce que vous êtes capables d'en faire. IL faut avoir un peu vécu et savoir apprécier la vie sous un certain angle. Alors l'instant s'embrase et le souvenir brûle pour toujours. Ma première s'appelait V., elle venait de loin, était blonde, ronde, gentille et douce, et assumait parfaitement. Elle ne comprenait pas pourquoi je ne lui disais pas mon prénom.

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