5/28/2008

que la chair vibre

c'est à cause d'un magazine de la salle d'attente. des images marquent même sans qu'on les regarde. je passais le temps en essayant de me donner des airs. je n'aime pas les médecins, leur haleine épaisse de fumeur me dit d'arrêter de boire. des airs, donc, de type pas inquiet, de type normal, tranquille. je me suis rendu compte d'un coup que rien n'est plus inquiétant qu'un type qui ne s'inquiète pas dans la salle d'attente d'un médecin, surtout dans un hôpital. mais pas de chance, je n'ai pas eu le temps de m'en inquiéter davantage, l'assistante du docteur est venue me chercher. j'ai négligé le magazine, il est tombé, s'est ouvert sur une pub pour un parfum avec la photo d'une fille qui n'existe pas, je l'ai ramassé, l'ai posé sur la table, me suis dit quelque chose comme "est-ce que je trouve cette fille attirante ?", me suis rendu compte que je posais inconsciemment les yeux sur les seins de l'assistante, des seins sans plus d'intérêt que d'être cachés, même pas des gros seins vulgaires et alléchants, en fait je ne me souviens même plus de ses seins. jolies jambes par contre. j'ai dû rougir, ai mal interprété son sourire sec, ai pensé à autre chose pendant que le médecin me sortait qu'il ne fallait plus boire. j'ai peut-être dit "d'accord" ou une connerie de ce genre, et puis je suis parti, ça nous fera 70 euros au revoir docteur. devant mes yeux toujours la photo du parfum.
l'avais-je déjà vue ? grande fine froide des cheveux de 28 mètres onctueux brune les yeux absolus. si c'était une actrice je ne la connaissais pas. si c'était un mannequin connu, pas par moi. je ne me suis plus souvenu si cette fille m'avait fait envie. ça fait bien longtemps que je ne me le demande plus. les filles des pubs ne me font plus bander. l'ont-elles jamais fait ? possible. je crois. à l'âge où tout fait bander, sûrement. mais cette fille-là, bon. je ne crois pas. même pas la poussée primaire du sang qui part du ventre sur un air d'au cas où, et qui s'éteint mollement, déçue et un peu douloureuse de cet effort pour rien ? non.
en fait je suis sûr que non, mais je sais que je me suis posé la question. fille de magazine + seins, même banals, de l'assistante + jolies jambes, ça m'a poursuivi un peu, la question est légitime. mais je suis sûr qu'en fait, rien n'a émergé dans l'espace serré du tissu moite, même pas l'angoisse. je suis rentré chez moi.
en poussant la porte d'entrée de l'immeuble la pénombre s'est dissoute en gorgées laiteuses et pâles. mes yeux ont eu du mal, un instant, à s'habituer à l'ombre. si bien que j'ai d'abord entendu son rire. frais, à peine trop fort, elle riait par politesse, pour faire plaisir. pour dire qu'elle a entendu la blague bancale qu'on vient de faire. elle riait à ses deux copains, maintenant je les vois. ils l'encadrent. elle est jeune, mais pas beaucoup plus que moi. elle est ronde, petite, dehors j'en connais qui diront qu'elle est grosse. la lumière soudain dans le corridor affine ses courbes qui reviennent vite à la charge sous la minuterie impartiale quand la porte claque, derrière. j'ai trébuché, j'espère qu'elle ne l'a pas vu, c'était un tout petit trébuchement, con de tapis. elle m'a croisé, elle a cessé de rire mais son sourire était là. elle m'a ému, cette conne, en une seconde à peine. son corps qui ne prétendait rien. son rire qui était si gentil. la lumière, comme ça, dans ses cheveux incertains. je suis monté ivre d'elle. j'avais une seule pensée en tête. non, deux.
la première : si au moins j'étais moi aussi sur la photo du magazine. là je ne dis pas, je l'aurais vue, j'aurai senti sa sueur sous les spots, j'aurais vu son corps bosser, je l'aurais entendue se marrer ou pester contre cette séance qui n'en finit pas. là d'accord. l'autre, la fille du corridor, bon sang sa peau était à quoi, quatre, cinq centimètres de mon bras quand nous nous sommes croisés. j'ai espéré que ses cheveux m'effleurent, c'était possible, c'était là, j'aurais fait un demi pas de côté et c'était gagné, pour de vrai. j'ai vu son corps vibrer sous la lumière, émettre quelque chose, du sang qui bouillonne dans sa chair, les muscles qui prennent leur place, occupent leur espace, donnent un sens et une présence au corps de cette femme. j'ai entendu un son, un rire, j'ai vu toute la manifestation subtile d'une âme. l'air avait un poids, une étoffe, l'escalier, les portes, murs, peinture qui s'écaille, lampe qui brûle, bruits des télés dans les appartements, tout avait un sens, tout partait d'elle et tout revenait droit sur elle en fonçant. j'ai trouvé ça, soudain, beau à faire mal, elle était d'une telle beauté, j'ai eu terriblement envie de toucher son bras, là tout de suite, de le serrer doucement, de sentir sa fraîcheur dans ma main sèche, sa souplesse grassouillette. j'aurais embrassé son visage doucement, frotté mes joues sur les siennes délicatement, j'aurais voulu être sûr de ses cuisses, de ses fesses, de sa bouche même frôlée sous mes doigts.
essoufflé en atteignant l'appartement, fébrile j'ai fouillé dans mes magazines, retrouvé la publicité, refloué à la gorge le dégoût de moi-même et plongé, des larmes sales sur la bouche, dans les tristes soulagements.

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