10/28/2008

présence du corps

j'ai d'abord vécu à côté d'un corps. je l'avoue volontiers aujourd'hui, avec le recul. un corps a soudain habité mon espace plus que les autres corps. a aspiré le même air que moi, l'air qui sortait de mes poumons ; à son tour il l'a recraché, et à mon tour je l'ai inhalé. j'ai empli mes poumons, mon propre corps a saisi l'oxygène utile pour en imprégner mon sang, le diffuser dans mes veines jusqu'à mon coeur. le sang oxygéné fut dès lors propulsé dans le grand huit de la vie intra-corporelle. des pieds à la tête. nous respirons paraît-il les mêmes molécules d'air que jules césar ou léonard de vinci. un air qui fut eux. la nuit j'avale encore l'expurge d'un air issu chaque minute de ce corps.
je me suis vu certains soirs tristes sous la pénombre ouvrir grand la bouche : je voulais me gorger autant que possible des réminiscences de cet air. je pensais que chaque molécule ainsi inspirée porterait une trace de ce corps, par conséquent serait aussi le corps. je voulais m'en saturer. renouer un goût, une haleine, une odeur, avaler une poussière qui eut un jour frotter sa peau, avaler les bribes amères d'une sueur, l'huile tiède et blanche d'une larme. une fraîcheur. oui, un goût de chair.
entre mes dents croque encore de temps en temps le sel de sa peau, quand dans les heures difficiles je rejoue seul nos petits jeux amoureux : grignotage d'un muscle, d'une épaule, mordillement d'un tendon. succion d'une phalange. mes mains pétrissent le vide de flancs souples. j'entends froisser sous mes paumes le tissu blanc.
un corps habitait notre appartement. une chair épaisse, comblée elle-même de chairs utiles, de nerfs rôdés, viscères malléables, fonctionnels, dont le repli savant sous l'enveloppe lisse forçait mon admiration. Il y a une façon dont cette mécanique d'apparence si fragile, ces rouages si harmonieux, garantissent la stabilité d'un corps, son mouvement, travaillent à sa survie anonyme, et lui permettent enfin, quelques fois, je l'ai vu, un déhanchement facial gauche qui, comprimant le flanc, emporte mon âme dans une contemplation brûlante.
j'ai aimé ce corps, avant le reste. deux parents lui avaient attaché un prénom qui lui allait plutôt pas mal : j. j'avais trouvé ça joli, regarder le corps tatoué "j" déboiter devant moi ses hanches rondes.

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