6/25/2008

rond, gras, bulle

dans le train de banlieue. elle doit avoir 28 ans, peut-être 30. il y a du monde, debout sur la plate-forme. il y a le bruit du train, des discussions dans des portables, des walkman qui grésillent. soudain elle dit "je supporte pas qu'on me dise que je suis belle, je sais très bien que c'est faux, on me fera pas croire qu'un bourrelet c'est beau". c'est vrai qu'elle n'est pas mince. on ne verra jamais sa photo pour une publicité. il y a des milliards de femmes dont on ne verra jamais la photo pour une publicité.
je me demande ce qui m'a vraiment choqué dans cette phrase. le fait qu'elle réduise la beauté à un bourrelet. sa résignation. cette espèce de hargne à ne pas vouloir être prise pour une conne devant un compliment. je me demande. sur le quai de la gare je l'avais vue. je la regardais en douce profiter du premier soleil, les yeux fermés. elle souriait à rien, en tout cas pas à moi et je me suis dit que ca m'aurait pourtant fait plaisir. une femme qui sourit à rien c'est agaçant. une femme qui sourit à un autre homme que vous, déjà. mais à rien.
en douce, donc, regardée. un charme pas classique, rien de vulgaire non plus, elle avait cette allure un peu gauche, un peu maladroite et tendue des banlieusardes qui rêvent tant d'être parisiennes. elle avait dû serrer les poings pour s'en sortir, sans trop savoir où aller, sinon paris. elle y bossait désormais, c'était peut-être une première victoire, enfin bref je m'étais fait tout un film et je l'avais trouvée touchante, au final. elle était grosse, mais ça ne m'avait pas sauté aux yeux. une évidence qu'on ne voit même pas. son tour de taille ne choquait pas l'image. je m'en rends compte à présent, elle était ronde comme je porte des lunettes. ce matin-là je n'avais pas la tête dans les magazines de mode, et j'avais vu une jeune femme profiter du soleil en attendant le train. c'est cela qui m'avait plu. question de lumière.
ce jour-là c'était ça, le lendemain je me laisserais troubler par une chute de rein volée à la silhouette d'une cycliste. est-ce que ça faisait de moi un salaud qui méprisait les grosses ? appréciant qu'une femme ronde se foute qu'on la regarde prendre le soleil sur un quai de gare un jour, et aussi capable le lendemain de craquer pour une courbe fine, était-ce pour cela qu'une femme dirait bientôt à une autre qu'elle ne pourra plus croire les compliments ? peut-être. cruelle simplicité des hommes qui tombent trop vite.
j'ai eu envie de la rassurer. je lui ai dit tout ce que je pensais, de ce charme qu'elle dégageait, si touchante dans son déguisement de parisienne, comme une petite fille en princesse, aussi sérieuse en tout cas, j'ai eu envie de lui dire que je ne m'étais pas rendu compte, d'abord, de ses bourrelets. je l'ai invitée à prendre un café, à l'écouter, à la regarder avec toute la tendresse dont j'étais capable et tout le silence aussi. sa copine lui a dit tu as raison, les mots sont restés dans ma bouche. mon café est resté seul. je crains de la revoir sur le quai de la gare.

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